«PERRUCHE», «PETITE CERVELLE» : POURQUOI MÉLENCHON ESQUINTE AUTANT LES JOURNALISTE

LA DERNIÈRE MOQUERIE DU LEADER DES INSOUMIS S’AJOUTE À UNE LONGUE LISTE D’ATTAQUES VISANT LES JOURNALISTES, ET LES MÉDIAS EN GÉNÉRAL.

C’était l’épisode de trop. Mercredi après-midi, après avoir occupé les gros titres de l’actualité pendant 24 heures après sa perquisition, Jean-Luc Mélenchon s’est moqué de l’accent d’une journaliste de France 3, en pleine interview.

Une réaction qui a déclenché l’ire du Syndicat national des journalistes (SNJ) de France Télévisions, qui qualifie ces propos d’« irresponsables » et de la direction de la chaîne qui évoque « « son vif étonnement » et « sa réprobation ». « Jean-Luc Mélenchon, hélas, n’en est pas à son coup d’essai », déplore encore le syndicat.

On ne compte plus les saillies de l’Insoumis à l’encontre des médias. En 2009 déjà, lors d’un débat houleux sur les élections européennes, il avait dit à Arlette Chabot d’« aller au diable », mécontent de ne pas avoir la parole.

Moins d’un an plus tard, il s’en prenait vertement à Félix Briaud, à l’époque étudiant en journalisme, et à sa « petite cervelle ». « Tu fermes ta petite bouche, tu me parles de politique, moi je te parle de ton métier pourri », tonnait-il face au jeune journaliste, qui évoquait la Une du Parisien abordant un débat sur la réouverture de maisons closes.

La séquence avait beaucoup circulé sur les réseaux sociaux et choqué la profession. « Sur le coup, je ne me rendais pas du tout compte du potentiel viral de la vidéo. Je n’avais que 26 ans à l’époque », explique au Parisien le journaliste Félix Briaud. Mais à l’époque, ses formateurs connaissaient déjà le caractère difficile de Jean-Luc Mélenchon. « Je trouvais ça dingue qu’il ne cherche pas à s’excuser, mais la directrice de mon école m’avait rétorqué que j’étais un peu naïf », se rappelle-t-il.

« PERRUCHE », « LARBIN », « SALAUD »…

Depuis, l’élu des Bouches-du-Rhône n’a cessé de maintenir ses attaques contre les journalistes, qui, selon lui, font partie d’un système voué à le discréditer. En 2010, il qualifie ainsi Laurence Ferrari de « perruche ». David Pujadas, lui, est un « larbin » et un « salaud ». Deux ans plus tard, un journaliste de la BBC est traité de « connard » après avoir réalisé son portrait.

La campagne présidentielle de 2017 constitue à elle toute seule un volet majeur du « combat » qui oppose Jean-Luc Mélenchon et les médias. Alors qu’à gauche bruisse la rumeur d’une éventuelle union entre partisans de Benoît Hamon et les Insoumis, un journaliste de « C à vous » est traité de « sale con » pour avoir abordé le sujet avec le candidat sur le terrain.

La tension est aussi prégnante sur les plateaux de télévision : Anne-Sophie Lapix et Patrick Cohen (C à vous) sont traités de « salauds » en coulisses après un recadrage en direct tandis que la présentatrice de France 2 Nathalie Saint-Cricq est invitée à « aller se faire foutre »après un débat tendu sur l’Emission politique.

« UN BON MOYEN D’ÊTRE POPULAIRE »

Mais pourquoi tant de haine ? Selon Félix Briaud, qui s’était dit plutôt proche des idées du responsable politique en 2010, « ce qui l’insupporte, c’est le flot quotidien » et le manque de « réflexion approfondie » dans le métier. Lorsqu’il s’adresse à un journaliste, Jean-Luc Mélenchon l’assimile aussi à un système médiatique dont il se méfie, le jugeant trop proche des puissants. En 2014, il invitait d’ailleurs ses militants à surveiller « de façon étroite et vigilante » les journalistes du Monde et de Libération qui suivaient ses meetings, accusés d’être des espions.

Cette année, dans un post de blog, le chef de file des Insoumis a même jugé que « la haine des médias et de ceux qui les animent était juste et saine », tout en rappelant que cette haine ne devait pas « nous empêcher de réfléchir et de penser notre rapport à eux comme une question qui doit se traiter rationnellement dans les termes d’un combat ».

Un discours en parfaite cohérence avec son discours politique. « L’univers médiatique est pour lui le bras armé de tout ce qu’il déteste dans la société, le bras armé des dominants, des possédants, des chefs de file socioculturels », analyse le journaliste Alain Duhamel dans un portrait diffusé en mars sur France 2. « Un bon moyen d’être populaire, c’est de s’en prendre aux journalistes », conclut-il.

LA COMMUNICATION POLITIQUE « TRUMPISÉE »

Mais avec les récents épisodes médiatiques — les vidéos en direct des perquisitions, la journaliste moquée —, « on a passé un cap », analyse le spécialiste en communication politique Philippe Moreau Chevrolet.

« Avant, il reprochait des choses qui s’inscrivaient dans le discours classique de l’extrême gauche par rapport aux médias. Il était très agressif, mais ça avait un contenu politique », explique-t-il. « Désormais (avec la moquerie sur l’accent), on est dans l’humiliation personnelle. C’est une agressivité pour l’agressivité. »

Une méthode de communication qui n’est pas sans rappeler celle du président américain Donald Trump. « On peut parler de « trumpisation » de la communication politique française », affirme le communicant. « On va se victimiser à fond, se moquer de la presse, de ses adversaires, de manière violente. On va utiliser les réseaux sociaux, on n’hésite pas à humilier, à être dans l’invraisemblance la plus totale pour faire parler de soi, pour mobiliser et hystériser sa base », décrit-il.

L’objectif ? Occuper le jeu médiatique en choquant, selon Philippe Moreau Chevrolet qui balaie tout doute sur son attitude : « C’est une stratégie trop bien faite pour ne pas être délibérée ». « Il a choisi le conflit parce qu’il pense que c’est la meilleure manière pour lui d’exister dans les médias, à la fois dans son positionnement qui est antisystème et parce que c’est plus rentable », juge le spécialiste.

Aujourd’hui, cette stratégie n’est plus l’apanage des extrêmes. « C’est François Bayrou le premier qui a fait de ça une rente de communication, en 2006, dans une interview avec Claire Chazal », rappelle Moreau Chevrolet. Dans l’entretien, il dénonçait les liens entre la présentatrice, les médias et les multinationales.

Aujourd’hui, les critiques fusent de tous les côtés, y compris à l’Elysée, où, là aussi, la presse n’est pas toujours la bienvenue. « Il n’y a plus tellement d’acteurs politiques qui ne jouent pas ce jeu d’affrontement avec la presse », estime Philippe Moreau Chevrolet. « Tous se disent : « Tiens, pourquoi je n’essaierais pas de faire un Trump de mon côté ? » »

MCBG CONSEIL